Grève dans l'industrie de la chaussure à Fougères en 1906

Chaque matin, des hommes et des jeunes gens partaient à la corvée. Les retours, le soir, étaient magnifiques. Ils étaient une vingtaine qui tiraient avec des cordes la même charrette dans un grand élan joyeux en dépit

de tout. Cette vaste forêt qu'au temps du bonheur on allait revoir les dimanches du printemps, ce lieu de toutes les promenades et de tous les songes, cette grande chose vague et libre, qui était là toujours au nord de la ville comme une ressource de force et de sérénité, voilà qu'elle était devenue le secours le plus utile dans cette vie primitive où la misère obligeait à revenir.

Deux fois, à la fin de novembre, la Chambre de Commerce puis la Mairie proposèrent leur arbitrage. Les ouvriers reprendraient le travail aux anciennes conditions, mais les deux parties discuteraient de nouveaux tarifs dans les six mois à venir. Un référendum fut organisé. Les ouvriers, à une grande majorité, refusèrent de rentrer.

La famine s'installa dans la ville. La pluie, le brouillard de décembre en Bretagne. Un silence hargneux. Chaque usine était gardée à l'intérieur par les services de maîtrise et les employés des bureaux. A la porte un piquet de grève surveillait.

 

 

Le 5 décembre, les patrons firent distribuer par la poste des offres de tarifs et cette manoeuvre provoqua des remous. Défilés dans la ville. Je vis pour la première fois des drapeaux rouges et des drapeaux noirs. Les enfants avaient faim. Diverses villes, Rennes, Paris, Laval, Saint Nazaire demandèrent à les recueillir.
Le 9 décembre, le secrétaire des syndicats de Rennes vent présider au premier départ. Singulière fête. La ville se vida d'enfants. J'ai voulu savoir ce qui, d'une telle aventure, après cinquante ans, aujourd'hui, restait dans l'esprit de ces enfants.
« A la maison, m'écrit l'un d'eux, nous avions peu de chose à manger. Un jour, sans rien dire à mes parents, j'étais allé â la Bourse me faire inscrire pour le prochain départ, et j'avais pris, à la sortie de l'école, l'ancienne de mes sueurs pour que nous puissions partir ensemble. Pendant quelques jours, nous fûmes muets, mais, un samedi soir, deux hommes du comité de grève vinrent nous prévenir que nous partions le lendemain. Jamais je n'oublierai ce moment sublime où, contre la volonté de mes parents qui pleuraient, je partis. Nous allâmes à Saint-Nazaire. Sur la place de la gare des milliers d'ouvriers nous attendaient.J'avais l'habitude d'entendre chanter l'Internationale, mais, ce jour là, avec mon petit paquet et ma piteuse mine, l'émotion était à son comble...
»

C'est ainsi que l'histoire, dans les mémoires, devient légende et forge les âmes.

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