Le petit F..., secrétaire des
coupeurs, eût fait plutôt penser à Sancho, M. G..., secrétaire des
cordonniers, à Don Quichotte. Ces deux bons compagnons, s'aidant l'un
l'autre, livrèrent la bataille. Ici encore les documents manquent. Des
hommes de cette sorte n'écrivent guère
ils n'en ont ni le temps, ni le
goût, et personne ne l'a fait pour eux, et n'a pris soin de noter les
angoisses qu'ils connurent pendant ces quatre mois durant lesquels ils
furent et se sentirent constamment jugés par les uns et les
autres, selon les chances du
combat, selon la misère alourdie ou l'espoir renaissant, amis ou ennemis
de ce peuple qui les avait délégués, meneurs, bergers, tantôt adorés,
tantôt détestés par le troupeau, mais chargés, quoi qu'il advienne, de
garder la voie.
Donc les huit mille ouvriers se
trouvèrent dehors et les bras ballants pour la journée entière, dans ces
mois mêmes où d'ordinaire on travaillait plus que jamais, jusqu'à des
onze heures par jour. Rien n'est pénible à qui habituellement travaille
comme de ne rien faire. Les fins de semaine revinrent sans qu'il y eût
jamais de paye. Les femmes commencèrent d'accuser leurs hommes de
paresse. Les secours dérisoires distribués par les syndicats se
réduisirent bientôt à rien.
La chance était de
découvrir un boulanger qui acceptât
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de vous vendre du pain à la coche,
à crédit. Mais les tailles, au bout d'un mois, furent si longues, de
vrais bâtons, qu'on n'obtint plus de crédit. Les châtaignes, cet hiver
là, plus que jamais furent une providentielle ressource. Tous les
enfants coururent les vieux chemins et les firent sauter de leurs bogues
à grands coups de sabot.
La ville devint triste. Son
silence avait changé : c'était le silence de la peur. Il n'y eut d'abord
aucun désordre. Les soldats restaient consignés dans leurs casernes,
prêts à intervenir. Le syndicat ouvrier organisa des « soupes syndicales
» dans la cour de la Bourse du Travail. On avait monté une longue tente
foraine, installé des lessiveuses transformées en chaudières. On
distribua sept cents soupes les premiers jours; et on en prévoyait trois
mille. Mais je n'ai rien retrouvé qui permît de voir ce que fut le
développement de l'institution. J'imagine que bien des gens sentirent
devant elle la même honte qu'ils sentaient devant l'hôpital, où l'on
n'acceptait guère d'entrer que pour mourir, et résistèrent, et
préférèrent avoir faim aussi longtemps que cela leur fut possible.
Ce n'est que moi, aujourd'hui, à
ma table, devant de vieilles cartes postales qui représentent la
préparation de la soupe à la Bourse du Travail ou l'arrivée des
charrettes de bois pour la cuire, qui puis trouver à tout cela de la
grandeur et une sorte de poésie. La préfecture avait accordé au Comité
de grève l'autorisation de couper du bois dans la forêt.
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