Grève dans l'industrie de la chaussure à Fougères en 1906

Le petit F..., secrétaire des coupeurs, eût fait plu­tôt penser à Sancho, M. G..., secrétaire des cor­donniers, à Don Quichotte. Ces deux bons compagnons, s'aidant l'un l'autre, livrèrent la bataille. Ici encore les documents manquent. Des hommes de cette sorte n'écrivent guère

ils n'en ont ni le temps, ni le goût, et personne ne l'a fait pour eux, et n'a pris soin de noter les angoisses qu'ils connurent pendant ces quatre mois durant lesquels ils furent et se sentirent constamment jugés par les uns et les

autres, selon les chances du combat, selon la misère alourdie ou l'espoir renaissant, amis ou ennemis de ce peuple qui les avait délégués, meneurs, bergers, tantôt adorés, tantôt détestés par le troupeau, mais chargés, quoi qu'il advienne, de garder la voie.

Donc les huit mille ouvriers se trouvèrent dehors et les bras ballants pour la journée entière, dans ces mois mêmes où d'ordinaire on travaillait plus que jamais, jusqu'à des onze heures par jour. Rien n'est pénible à qui habituellement travaille comme de ne rien faire. Les fins de semaine revinrent sans qu'il y eût jamais de paye. Les femmes commencèrent d'accuser leurs hommes de paresse. Les secours dérisoires distribués par les syndicats se réduisirent bientôt à rien.

La chance était de découvrir un boulanger qui acceptât

 

 

de vous vendre du pain à la coche, à crédit. Mais les tailles, au bout d'un mois, furent si longues, de vrais bâtons, qu'on n'obtint plus de crédit. Les châtaignes, cet hiver là, plus que jamais furent une providentielle ressource. Tous les enfants coururent les vieux chemins et les firent sauter de leurs bogues à grands coups de sabot.

La ville devint triste. Son silence avait changé : c'était le silence de la peur. Il n'y eut d'abord aucun désordre. Les soldats restaient consignés dans leurs casernes, prêts à intervenir. Le syndicat ouvrier organisa des « soupes syndicales » dans la cour de la Bourse du Travail. On avait monté une longue tente foraine, installé des lessiveuses transformées en chaudières. On distribua sept cents soupes les premiers jours; et on en prévoyait trois mille. Mais je n'ai rien retrouvé qui permît de voir ce que fut le développement de l'institution. J'imagine que bien des gens sentirent devant elle la même honte qu'ils sentaient devant l'hôpital, où l'on n'acceptait guère d'entrer que pour mourir, et résistèrent, et préférèrent avoir faim aussi longtemps que cela leur fut possible.

Ce n'est que moi, aujourd'hui, à ma table, devant de vieilles cartes postales qui représentent la préparation de la soupe à la Bourse du Travail ou l'arrivée des charrettes de bois pour la cuire, qui puis trouver à tout cela de la grandeur et une sorte de poésie. La préfecture avait accordé au Comité de grève l'autorisation de couper du bois dans la forêt.

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