Insecticides - Interview de Dominique Belpomme*
« Il faut retirer ces produits du marché. Immédiatement »

Propos recueillis par François Malye

LE POINT : Dans le cadre de l'affaire des insecticides Gaucho et Régent TS, vous avez été entendu, en tant qu'expert, par le juge d'instruction Jean Guary. Que pensez-vous de la dangerosité de ces produits ?

DOMINIQUE BELPOMME : Il n'y a pas de questions à se poser. Il faut retirer ces produits du marché. Immédiatement. Le Régent a été classé « probablement cancérogène » par le CIRC (Centre international de recherche sur le cancer). C'est l'un des pesticides qui contamine le plus l'eau, et sa molécule n'est pas sélective. Elle ne touche pas seulement les abeilles mais aussi les oiseaux, les poissons et les mammifères. Et, parmi les mammifères, il y a l'homme. La molécule est stockée dans les tissus graisseux, se métabolise et est relâchée dans le lait lors de l'allaitement des enfants. Mais ce qui est inadmissible, c'est la négligence du ministère de l'Agriculture et les mensonges des industriels concernés. Cette politique du laisser-faire risque de conduire à une affaire analogue à celle du sang contaminé.

L. P. : Vous lancez un cri d'alarme contre l'utilisation des pesticides.

D. B. : La très grande majorité des scientifiques, aux Etats-Unis comme en Europe, sont d'accord pour dire que, si nous continuons à ce rythme, l'espèce humaine risque de disparaître d'ici un siècle. Les pesticides sont suspectés d'être à l'origine de nombreux nouveaux cas de cancers. Il faut savoir que les cancers sont en augmentation dans tous les pays industrialisés. Chez l'enfant, par exemple, le nombre de cas augmente de 1 % chaque année. De nombreuses études démontrent que les produits chimiques, et notamment les pesticides, sont responsables de cet accroissement.

L. P. : Quels sont les risques pour les agriculteurs ?

D. B. : Ils sont les premières victimes de ces produits, ou plutôt leurs enfants, qui ont un taux de malformation congénitale multiplié par quatre. Cela touche surtout les petits garçons, mais les filles ne sont pas épargnées. Certaines naissent avec des seins d'adolescente ! Les agriculteurs ont aussi des problèmes de stérilité. Un lien causal vient d'être récemment établi de façon certaine entre l'augmentation de cette stérilité et l'utilisation des pesticides. Enfin, on note l'apparition de déficits immunitaires chez l'enfant et de maladies du système nerveux central. En outre, il est clairement démontré que la contamination par les pesticides entraîne une baisse du quotient intellectuel.

L. P. : Vous êtes l'un des experts du plan Cancer lancé par Jacques Chirac. Les Français ont beaucoup entendu parler de la lutte contre le tabagisme, mais qu'en est-il des mesures prises contre tous ces toxiques ?

D. B. : Sur les 70 mesures de ce plan, il est vrai que seulement quelques-unes concernent l'environnement. L'objectif affiché est de faire baisser de 20 % le nombre de décès dus aux cancers or, si l'on ne s'inquiète que du tabac, nous n'y parviendrons pas. Le cancer est responsable de 150 000 décès par an en France, mais 30 000 seulement, si j'ose dire, sont liés au tabac. Il en reste donc 120 000, dont une très grande partie sont dûs à la dégradation de notre environnement. En tant qu'expert, ma mission est de sensibiliser les acteurs de ce plan à ce problème, car la contamination de notre environnement depuis la dernière guerre par 100 000 molécules chimiques sans contrôles suffisants est une véritable menace pour l'humanité.

L. P. : Comment l'agriculture peut-elle remplacer ces produits ?

D. B. : Supprimer les pesticides ne suffira pas. L'agriculture bio doit être soutenue économiquement, mais elle ne peut suffire. En fait, il faut revenir aux cultures par rotation. Mais, surtout, réformer la politique agricole commune (PAC) pour qu'elle intègre les impératifs de santé publique en subventionnant les agriculteurs qui réduisent de façon importante l'emploi des pesticides et des engrais chimiques, dont le rôle cancérigène est également hautement probable

* Cancérologue à l'Hôpital européen Georges-Pompidou et l'un des spécialistes chargés de la mise en oeuvre du plan Cancer voulu par Jacques Chirac. Il lance un cri d'alarme contre les pesticides.

© le point 12/02/04 - N°1639 - Page 72 - 675 mots